Dans le monde d’hier, la ville était vorace, gargantuesque et prédatrice pour le climat. Demain, il faudra que tout change, que l’urbanité s’invente vertueuse, capable de faire face au défi du siècle que constitue le changement climatique entré dans sa phase irréversible. Cela passera par la gestion de la ressource. Une révolution qui doit se mener de la ferme à l’assiette et de l’assiette à la poubelle. Oui, la ville de demain sera « zéro déchet » et favorisera les circuits courts, allant jusqu’à s’inventer un destin agricole.

Un grand jour pour Dijon. Jeudi 14 décembre, François Rebsamen, maire de la ville, prononce un discours au sein des ateliers Dieze, cette filiale de Suez chargée de la gestion des déchets. L’ancien ministre du Travail de François Hollande inaugure un changement qu’il présente « certainement comme une première nationale ». Oui, Dijon, chef-lieu de Bourgogne-Franche-Comté, convertit l’ensemble de sa flotte de camions-bennes à ordures à l’hydrogène vert ! Une vraie révolution qui va améliorer, encore, le bilan carbone d’une ville déjà en pointe sur les questions écologiques. La capitale des Ducs de Bourgogne renoue avec son passé en faisant confiance, afin de résoudre ce défi, à une entreprise belge. Oui, n’oublions pas qu’au temps de la splendeur des Ducs de Bourgogne, cette fière province s’étendait jusqu’aux Flandres…
E-Trucks Europe équipe déjà plusieurs cités du Benelux comme Amsterdam, Anvers ou Groningue et défriche un marché porteur d’avenir. Ces véhicules possèdent une autonomie de 200 kilomètres et représentent un investissement de 3,3 millions d’euros, soit environ 825 000 euros par véhicule. Le tout avec une maintenance de cinq ans.
Cette information peut sembler anecdotique, mais en vérité, elle témoigne de l’importance qu’une administration municipale digne de ce nom se doit d’accorder à la compétence « propreté et traitement des déchets ». Cet aspect est fondamental pour la qualité de vie des habitants, il s’agit d’offrir une ville propre et durable. Et d’aller demain vers l’objectif ambitieux de la « ville zéro déchet ». Une stratégie qui entre au coeur de ce que l’universitaire Carlos Moreno, visiteur du soir d’Anne Hidalgo, nomme « la ville du quart d’heure ». En clair, il s’agit de produire, consommer et recycler au plus près de la métropole, afin de réduire le coût écologique.

San Francisco, grande pionnière, atteindra
le « zéro déchet » à horizon 2030
Objectif « zéro déchet »
Le niveau d’action municipal s’avère souvent pertinent pour relever le défi de l’écologie. Sur la question des déchets, il apparaît clairement qu’une action nationale ou internationale serait trop large pour être efficace, et que l’action individuelle, pour aussi importante qu’elle soit, ne saurait suffire. Une question d’impact. Ainsi, nombreuses sont les villes à proclamer l’objectif « zéro déchet ». Dressons le portrait-robot de la « ville zéro déchet ». D’abord, cela semble évident, les poubelles sont collectées dans des bacs différents qui poussent au recyclage. Le citoyen est partie prenante et est incité à posséder chez lui un bac à compost. Aussi, la politique tarifaire est indexée sur l’effort de chacun : celui qui jette trop paye davantage (principe du « pollueur-payeur »). Également, la municipalité investit dans un centre de tri dernier cri qui permet d’augmenter le taux de recyclabilité. Mais encore, les équipements publics (et privés, c’est à souhaiter) s’équipent d’éléments et d’objets réutilisables. Enfin, suivant l’initiative « gouvernement ouvert », la municipalité partage ses data publiquement, afin de permettre au citoyen d’accéder en temps réel à l’information sur l’avancée du projet.
Prenons quelques cas concrets, d’abord à l’international. Il est vrai que San Francisco, pionnière en la matière, est souvent citée en exemple car elle devrait parvenir au « zéro déchet » en 2030, le tout avec une action dirigée sur deux grands axes. 1) Une confiance en la technologie pour favoriser le tri et 2) une politique financière incitative. Le contraire, donc, de l’écologie punitive. Citons également le volontarisme de Tokyo, la mégalopole qui veut devenir vertueuse, en devenant la première ville asiatique à mettre un terme à la consommation tous azimuts de plastiques. Ensuite, et cette fois en Europe, c’est Milan qui fait figure de modèle. La capitale de Lombardie a pris les devants en livrant à chaque foyer et chaque entreprise de la ville un kit complet qui facilite l’action individuelle. Après avoir expérimenté avec succès le « zéro déchet » sur deux quartiers de la ville, Milan s’apprête à généraliser l’ambition.
Roubaix, l’exemplaire du Nord
En France, c’est souvent la populaire Roubaix qui est mise en avant. La commune du Nord est pionnière en matière de zéro déchet, et ce depuis 2014, grâce à une action municipale tout à fait volontariste. Après un premier essai concluant mené en lien avec 500 familles de la ville, la commune de Roubaix passe la seconde. Chaque famille « pionnière » doit « convertir » cinq autres foyers à l’expérimentation. Le bouche-à-oreille permettra ainsi d’étendre l’influence du défi à 2 500 familles ! Après un an, en moyenne, le poids de déchets résidentiels est divisé par quatre. Roubaix avance avec la volonté d’embarquer citoyens, pouvoirs publics, commerces, entreprises, établissements scolaires et associations.
Ainsi, dans les cantines scolaires, un effort sans précédent est mis en oeuvre contre le gaspillage. Fin des plastiques, de la vaisselle réutilisable, tri sélectif par les jeunes. Mais ce n’est pas tout : la liste des fournitures scolaires a été réduite de 50 % ; les stylos sont réutilisés d’une année à l’autre. Les commerçants sont les « vitrines » du dispositif. Du boulanger au fleuriste, nombreux sont ceux à être déjà estampillés « commerce zéro déchet ». « Une offre nouvelle se développe : activités de réparation (horlogerie, textile, informatique, etc.), achats alimentaires en vrac, achats en circuit court, ressourcerie, etc. Résultat : moins de déchets, une redynamisation du centre-ville et des clients plus fidèles », indique Alexandre Garcin, adjoint au maire en charge du développement durable. La municipalité de Roubaix, ville dirigée par le proche d’Édouard Philippe Guillaume Delbar, se doit évidemment de montrer l’exemple. Le personnel est prié d’être irréprochable en la matière. Le moindre détail est désormais regardé à l’aune du « zéro déchet ». Les bouteilles en plastique laissent place à une fontaine à eau. Chacun apporte sa gourde. Lors des cérémonies républicaines, le traditionnel « verre de l’amitié » est servi dans une vaisselle réutilisable. Lorsque la mairie envisage de renouveler une partie de son matériel (ordinateurs, mobilier, etc.) celui-ci n’est jamais jeté mais offert à une association. Des gestes simples, éminemment quotidiens, mais qui disent beaucoup d’une volonté.

Villejuif a fait l’acquisition d’une ferme municipale
aussi utile écologiquement que socialement
Du bio à la cantine : cette mesure clé peut tout changer
« Les villes devraient être construites à la campagne, l’air y est tellement plus pur », disait Alphonse Allais. Un trait d’humour, certes. Mais il s’avère qu’avec le temps, alors que les métropoles doivent trouver leur place dans la révolution climatique, le mot d’esprit devient vérité. Oui, une ville comme Paris est désormais dotée d’une adjointe en charge « de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts ». Et c’est Audrey Pulvar, l’ancienne journaliste star de iTélé, qui se retrouve à la tête de cette délégation chargée de verdir l’assiette des petits Parisiens. Quelle expérience possède-t-elle en la matière ? Chacun jugera.
L’agriculture urbaine : utopie pour bobos ou vrai changement qui pointe à l’horizon ? Cela dépend si on envisage le rassemblement de ces deux termes sous l’angle cosmétique (c’est un peu le cas à Paris) ou si l’on décide d’en faire une vraie politique publique municipale. C’est le cas dans bon nombre de communes qui possèdent aujourd’hui des cantines avoisinant le 100 % bio. Romainville, en Seine-Saint-Denis est un bel exemple, de même que Vincennes (Val-de- Marne).
Mouans-Sartoux, Villejuif : les vertueuses qui montrent la voie
Citons aussi l’exemple surprenant de Villejuif (Val-de- Marne toujours). Cette commune en proche banlieue de Paris a fait le choix d’acquérir un corps de ferme de 12 hectares à Tannerre-en-Puisaye, dans l’Yonne. L’objectif est double : alimenter les cantines municipales en bons produits d’une part, permettre aussi aux jeunes habitants de cette commune populaire de bénéficier d’un lieu champêtre où aller se dégourdir en vacances ; ou même pour un mercredi après-midi.
Un moyen d’améliorer la qualité du menu et de permettre aux enfants modestes de pouvoir partir en vacances, le tout en soutenant l’agriculture française. Villejuif fait donc beaucoup mieux que ce que lui impose la loi Egalim. L’idée est tellement bonne que d’autres collectivités prospectent désormais pour reproduire ce même cercle vertueux.
Sur les hauteurs de Cannes, dans l’arrière-pays azuréen, une commune détient la Palme d’Or de la cantine bio… Mouans-Sartoux (10 000 habitants) est unanimement saluée pour l’ambition dont elle fait preuve pour offrir aux demi-pensionnaires de ses établissements scolaires un repas méridien qualitatif, local et de saison. Depuis 2011, l’équipe municipale est parvenue à réaliser un tour de force : passer au 100 % bio… Sans augmenter les prix ! Le tout grâce à une production municipale réalisée par trois agriculteurs à plein-temps, lesquels sont salariés par la commune. Une initiative extraordinaire dont l’exemple gagnerait à être davantage suivi. Il est d’ailleurs salué, y compris à l’international, comme récemment dans un article de l’IPES (International Panel of Experts on Sustainable Food Systems).
interview

Gilles Pérole
adjoint au maire de Mouans-Sartoux en charge de l’enfance, de l’éducation et de l’alimentation
Comment parvenez-vous à proposer une offre 100 % bio à prix constant ? Quel est le secret de Mouans-Sartoux ?
Dès 2011, nous avons ouvert notre ferme municipale, forte de trois salariés, pour proposer du 100 % local et bio. Si nous maintenons un prix du repas dans la moyenne nationale, c’est parce que nous sommes parvenus à diminuer le gaspillage alimentaire de 80 %, ce qui nous permet de maintenir le delta de prix. Mieux : cela nous revient à six centimes de moins par repas ! Nous proposons 50 % de repas végétariens, toujours dans cet objectif de lier santé et environnement. Ainsi, à Mouans-Sartoux, nous voulons investir dans la qualité de l’alimentation, secteur responsable de 25 % des émissions mondiales et qui constitue sans aucun doute le levier le plus évident à actionner pour répondre à l’enjeu climatique.
Au-delà d’une formidable initiative écologique, vous proposez aux enfants une éducation au goût par l’exemple. Comment se décline-t-elle ?
C’est vrai que les enfants sont ravis. Ils mangent des légumes sans sourciller et tout se passe formidablement bien ! Grâce à notre ferme municipale, nous organisons très régulièrement des ateliers pour apprendre aux petits à cultiver les fruits et les légumes. Chaque classe bénéficie d’une semaine dédiée à l’éducation au goût par année scolaire, où nos équipes transmettent l’amour des bons produits, de la nature et du partage. Nous donnons ainsi du sens à notre action. C’est aussi une action du quotidien : chaque école est dotée de sa propre cuisine et les élèves ont régulièrement des discussions avec les cheffes, ce qui renforce davantage encore l’adhésion au projet. Ainsi, nous constatons un effet positif qui infuse bien au-delà de l’école, sur l’ensemble des habitants : 71 % de nos concitoyens ont modifié leurs comportements alimentaires. 28 % des Mouansois consomment chaque jour de la nourriture bio.
Mouans-Sartoux est-elle un cas particulier ou bien votre exemple pourrait-il se généraliser ?
Il n’y a qu’une chose que je ne comprends pas : comment se fait-il que toutes les communes ne soient pas déjà au 100 % bio ? Nous prouvons qu’il est possible d’offrir cette qualité à coût constant. Voilà pourquoi nous sommes désireux de partager notre expérience avec d’autres villes. Il n’y a que des avantages : d’autant que la filière bio a aujourd’hui besoin d’être soutenue. Les acteurs publics doivent s’engager davantage en la matière.
Avez-vous été accompagnés par l’État dans votre démarche ?
Pas tellement. Il y a beaucoup de réglementations et de contraintes administratives autour des marchés publics, avec des règles parfois absurdes qui découragent d’aller s’approvisionner auprès d’agriculteurs indépendants. Voilà pourquoi la commune de Mouans-Sartoux s’associe à d’autres collectivités européennes, dont la ville de Bruxelles, afin de faire modifier la législation et imposer un nouveau cadre de la commande publique ; au sein duquel 50 % des achats des collectivités devraient concerner directement l’alimentation durable. Propos recueillis par Valentin Gaure










