Citons Jean-Claude Van Damme. Oui vous avez bien lu. « Moi j’adore l’eau, dans 20 ou 30 ans y en aura plus. J’espère que non », indiquait le célèbre acteur belge, dans son fameux phrasé crypté. L’iconoclaste nous lançait là une alerte, un défi pour chaque citoyen et donc pour chaque territoire. Préserver la ressource en eau, défendre le milieu aquatique, protéger la qualité de nos rivières et de nos fleuves… De grands défis qui s’emboîtent dans nos vies à la manière d’un puzzle étrange. Tour de France des initiatives. Elles sont nombreuses, ingénieuses. Et tellement positives.*

Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir », écrivait le grand géographe Élisée Reclus. Auteur d’une Histoire des fleuves que l’on apprenait jadis aux écoliers de la Troisième République, le savant voulait, pour faire comprendre la France aux élèves, leur faire découvrir sa géographie, grande soeur de l’Histoire. Il fut un temps encore pas si lointain où les enfants de France savaient les fleuves et les montagnes, les sources et les forêts qui font de notre pays le poumon vert du continent européen… Et le deuxième domaine maritime du monde, derrière Washington.

Initiatives locales : quand les petits ruisseaux font les grandes rivières

Et aussi vrai que « les petits ruisseaux font les grandes rivières », la victoire de l’humanité sur le dérèglement climatique sera obtenue par l’engagement civique de chacun. Cela passe par ce mot très contemporain de « sensibilisation ». Ainsi à Cannes, ville décidément exemplaire, le maire David Lisnard eut l’idée de lancer un slogan qui fait désormais florès dans toute la France. Contre le sol, comme un rappel, une plaque signalétique au slogan quasiment poétique : « Ici commence la mer ».

Moyen de rappeler aux uns et aux autres qu’un papier jeté ici, même à des kilomètres des côtes, finira bel et bien par se retrouver au fond des eaux. Un sale coup fait à Dame Nature, à la faune, à la flore. « Ici commence la mer » se duplique désormais un peu partout, près des bouches d’égout ou des bassins d’eaux usées. Ces macarons réalisés en pierre de lave s’admirent de Caen à La Baule en passant par Dijon ou de nombreuses cités wallonnes. Un vrai succès.

Lille, Agen, Dijon… Les collectivités s’activent

Ces petites initiatives qui ne sont pas à mépriser s’admirent dans bien des territoires. Du côté d’Agen, la mairie n’hésite pas à faire directement la promotion de « l’eau du robinet ». Les élèves de la capitale du pruneau sont mis à contribution et apprennent ainsi que cette eau – contrairement aux légendes – est davantage encore contrôlée que l’eau minérale, achetable en bouteille. Eau de Garonne, entreprise qui a délégation de service public dans la commune, distribue ainsi une gourde à chaque enfant. L’objectif, au-delà de faire la promotion d’un bien commun municipal, est évidemment de lutter contre la pollution plastique. Du gagnant-gagnant.

Du côté de Dijon Métropole là aussi, on n’hésite pas à actionner le levier « vie quotidienne ». Pour économiser le précieux or bleu, la collectivité présidée par le social-démocrate François Rebsamen distribue massivement des kits de réduction de consommation d’eau. 130 000 foyers sont concernés. Cette opération Optim’eau comprend par exemple un mousseur destiné au robinet de l’évier : « On n’a pas pris du premier prix, nous avons choisi du matériel solide pour qu’il tienne dans le temps ! », indique Antoine Hoareau, adjoint en charge de ces questions, auprès du site Infos Dijon. Pour recevoir le précieux kit, il suffira de s’inscrire en ligne. Si cette démarche est gratuite pour le citoyen, elle doit être volontaire, le but n’étant pas de voir l’attirail croupir dans un placard…

Citons également Orléans Métropole, qui rembourse cinquante euros pour tout achat d’un récupérateur d’eau. Un civisme récompensé qui incarne par du positif, aux antipodes de l’écologie-sanction, aujourd’hui rejetée par les Françaises et les Français. De son côté, la MEL (Métropole européenne de Lille) préfère l’action commune par commune, grâce à son dispositif « Communes gardiennes de l’eau » qui entraîne chaque composante du territoire dans une ambition à grande-échelle. Vingt-six communes sont engagées dans cette démarche qui vise à changer le regard sur l’urbanisme, afin de prendre en compte la thématique de l’or bleu. C’est aussi en misant sur ce genre de territoires pionniers, avant-gardistes, que la France parviendra à avancer. L’expérimentation en actes.

Brest, la gardienne du grand large

La défense de la ressource en eau concerne tout particulièrement les collectivités littorales. Un effort commun qui se transformera en moyen d’action concret lors du sommet Nice 2025. En effet, une coalition internationale de collectivités pour la protection de l’Océan verra le jour à cette occasion.

Impossible de citer toutes les collectivités qui s’activent. Prenons l’exemple de la mairie de Brest, qui soutient le développement de la recherche océanographique via des partenariats avec des institutions scientifiques locales telles que l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) et Ifremer (Institut français de recherche entièrement dédié à la connaissance de l’océan). La ville organise régulièrement des événements de sensibilisation, tels que la Fête de la Mer, preuve a mari usque ad mare (de la mer jusqu’à la mer) que tout se rejoint, la culture ayant bel et bien son mot à dire pour la protection des océans.

Enfin, Brest participe à des réseaux internationaux dédiés à la protection des océans, comme le One Planet Summit ou les Journées européennes de la mer. Ville la plus occidentale de France, cap avancé de l’Europe vers l’Atlantique, Brest prouve sa réputation d’exploratrice. Hier ville des conquêtes militaires, Brest se positionne désormais aux avant-postes de la protection des ressources maritimes.

« Ici commence la mer » : chaque collectivité tente de sensibiliser les citoyens

Au fait, qui s’occupe de l’eau en France ?

La politique de l’eau est assez peu évoquée dans les grands médias du pays. En vérité, le seul candidat à s’être vraiment penché sur cet aspect pourtant vital de la chose publique s’appelle Jean-Luc Mélenchon, qui dédia à l’eau un carnet de campagne spécial. C’était en 2022. Il est vrai que l’essentiel de la politique de l’eau se concentre sur le plan local, territoire par territoire. Ce sont les communes – et désormais, le plus souvent, les communautés de communes et les métropoles – qui ont la charge d’approvisionner les uns et les autres. Notons qu’en 2020, selon les chiffres du site officiel Vie publique, près de 12 000 établissements chargés de l’eau et de l’assainissement se côtoyaient en France. Charge à eux d’acheminer la ressource jusqu’aux foyers, d’assainir les réseaux, de traiter les eaux collectées et de superviser la relation avec l’usager ou le client. 61 % de la population dépend d’un fournisseur privé agissant en qualité de délégataire du service public (Veolia et Suez se taillent la part du lion, surtout qu’elles sont désormais en voie de fusion).

Le passage d’un réseau d’eau du privé au public (plus rarement l’inverse) est souvent un point phare du débat des élections municipales. Ainsi à Bordeaux, le maire vert Pierre Hurmic s’est-il empressé, après son élection en 2020, de revenir à une régie publique de l’eau, censée être « mieux-disante » en matière de service au public. La mairie évoquait même une « révolution ». N’exagérons rien. Depuis le 1er janvier 2023, c’est ainsi la ville – via une régie publique, L’Eau Bordeaux métropole – qui effectue ce service hier placé sous la houlette de Suez. Pierre Hurmic a souhaité s’emparer de cette politique pour la rendre plus équitable. Désormais, les premiers mètres cubes seront moins chers et une progressivité se mettra en place pour les gros utilisateurs. Ainsi, les foyers solitaires (qui représentent désormais 50 % des foyers de la métropole bordelaise) verront leur facture décroitre là où ceux des familles nombreuses, avec piscines par exemple, paieront bien plus cher. La justice sociale appliquée à l’eau.

Eau de Paris, l’exemple d’une régie qui fonctionne bien

S’il y a bien une ville en France où l’on parle de la politique de l’eau, c’est bien Paris. Le feuilleton de la baignade dans la Seine d’Anne Hidalgo défraie la chronique à l’heure où nous écrivons ces lignes… Il faut dire qu’1,4 milliard d’euros a été investi dans la dépollution du fameux fleuve. Le tout pour un résultat pour le moins incertain, même si l’ambition est ô combien louable. Mais il faut bien cela pour rejoindre le concert des grandes capitales du centre de l’Europe. C’est qu’à Berlin, on se baigne volontiers dans la Spree tandis qu’à Vienne ou Budapest, le Danube fait office de véritable piscine pour tous, ce qui fait le bonheur des habitants de la Mitteleuropa. Rendre le fleuve baignable est donc un enjeu clef pour le dynamisme et la jovialité d’une métropole.

Au-delà de cette baignabilité de la Seine, sorte d’arbre qui cache la forêt, il apparaît que la gestion publique de l’eau à Paris est particulièrement efficace pour une ville de cette densité. Nous devons cette réussite à Bertrand Delanoë qui fit le choix, après son élection comme Maire de Paris en 2001, de rendre publique la gestion d’une eau parisienne jusqu’alors prisonnière de moult intérêts spéculatifs. Eau de Paris naissait ainsi en 2005, d’abord sous le nom plus barbare de SAGEP (Société d’économie mixte Eau de Paris).

Une politique de l’eau qui se démocratise enfin

En plus d’assurer l’alimentation des habitants de la capitale, Eau de Paris doit gérer les quelque 1 200 fontaines qui ornent les rues et les jardins parisiens. Une carte interactive des « points d’eau où remplir [sa] gourde » vient d’être éditée. Initiative évidemment bienvenue à l’heure où, comme nous l’écrivions ci-dessus, la bouteille plastique doit impérativement être rejetée dans les oubliettes de l’Histoire, au nom d’un évident impératif climatique.

A l’instar de toute la politique municipale à Paris, Eau de Paris consacre une part de ses ressources à un « budget participatif » permettant aux Parisiens – et aux Parisiennes, bien entendu – de se prononcer. Dix projets lauréats sont retenus chaque année. Citons par exemple « Université bleu : zéro bouteille sur mon campus ! » dotée d’un budget de 10 000 euros, un « atelier BD » doté de 40 000 euros ou encore la réalisation de cours de sensibilisation « eau et climat » dans les écoles, pour 14 400 euros. Enfin, Eau de Paris semobilise, comme nous l’avons vu ci-dessus, contre un étrange projet de forage pétrolier en… Seine-et-Marne !

Valentin Gaure

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