Les chiffres clés de la forêt française

Ils ont de quoi surprendre. La forêt métropolitaine occupe un tiers de la superficie de notre territoire sur laquelle poussent 2,6 milliards d’arbres. Elle est en croissance de 60-70 % si l’on compare à 1900 (ONF, 2021). On note un gain annuel de 80000 ha/an, soit un petit département français tous les 10 ans. 75 % de la forêt sont privés et détenus par 3,5 millions de propriétaires (Cour des comptes, 2020), soit un Français sur 20, qui souvent l’ignorent. Avec un tiers de la forêt difficile d’accès, elle est plutôt sous-exploitée, en carence d’entretien et vulnérable.

 

La forêt est gérée : on en persuadait les Français depuis des décennies. En réalité, son exploitation risque de devenir contre-productive si elle dégrade de manière trop importante sa capacité de puits de carbone. «Ce constat nous a conduits à émettre des recommandations dont le fil conducteur consiste à prioriser le puits de carbone, sans toutefois d’incompatibilité définitive avec les autres formes d’usage et d’exploitation, économiques comme récréatives », conclut le rapport de l’IHEST.

 

Les rôles de la forêt française métropolitaine

La forêt reste une réserve de biodiversité qui accueille 73 espèces de mammifères, 120 espèces d’oiseaux, des insectes, des animaux de toutes tailles et 72% de la flore (ONF, 2021). La préservation de la biodiversité impose un subtil équilibre dans les usages, d’autant plus que la déstabilisation des écosystèmes forestiers pourrait conduire à des émissions massives de CO2.

La forêt est une précieuse alliée dans la lutte contre le réchauffement climatique (Giec, février 2022) et l’agroforesterie est un levier. La forêt française est à la fois un stock immense de carbone figé dans les arbres, leurs racines et les sols, mais également un puits de carbone né de la captation. Cet effet de « puits » est essentiel pour atteindre la neutralité carbone et compenser les émissions résiduelles. Le puits de carbone est aujourd’hui estimé entre 70 et 100 Mt CO2 eq/an (Roux, 2020, Efese, 2019, Ademe, 2021, Maaf, 2016).

La forêt joue également un rôle de régulation de la température, des pollutions et du cycle de l’eau. On observe que l’air est plus humide au-dessus d’une forêt, les pluies plus abondantes. La forêt génère un impact sur le climat à l’échelle d’un continent (Spracklen, 2020). Elle est aussi une ressource économique. La filière dite forêt-bois emploie 440000 personnes (Cour des comptes, 2020), soit le double de la filière automobile. 50 millions de mètres cubes de bois sont prélevés chaque année, qui vont alimenter trois activités industrielles (IGN, 2021): le bois d’œuvre (BO), le bois industrie (BI) et le bois énergie (BE). Après transformation, le bois d’œuvre est utilisé en menuiserie, charpente, ameublement. Le bois industrie est destiné à la fabrication de panneaux, de papier, de cartons… Le bois énergie est destiné, par combustion, à la production de chaleur.

L’ensemble du prélèvement annuel ne représente que 60 % de l’accroissement naturel du stock de bois. Les industriels de cette filière représentent donc un groupe d’acteurs importants. L’utilisation du bois en France comme source d’énergie représente aujourd’hui 26 millions de mètres cubes dont plus des 2/3 ont une origine non commerciale (SER, 2022). Mais brûler du bois émet du CO2 et, en l’absence de filtration, souvent des particules fines. Dans ce cadre, le rôle du bois énergie doit être interrogé.

 

Les vraies questions

Pour beaucoup, la forêt est un bien commun qui parle à l’imaginaire collectif. Randonneurs et chasseurs représentent deux groupes d’acteurs. La forêt revêt donc également un rôle sociétal. Nos demandes envers la forêt sont multiples et parfois contradictoires. Prioriser s’avère complexe.

Ce rapport s’intéresse avant tout au rôle de la forêt dans la transition énergétique. Cependant, il convient de rappeler qu’il est indispensable de maintenir l’équilibre entre des intérêts parfois antagonistes et trouver des compromis ou synergies pour rendre acceptables et efficaces les actions publiques.

De nombreuses questions se posent. Faut-il, pour préserver la biodiversité, modifier certaines pratiques forestières (coupes rases, monoculture, utilisation d’engins forestiers massifs) quitte à fragiliser les acteurs de la filière? Doit-on, contre l’avis des défenseurs des animaux, réduire la population de grands gibiers pour préserver le renouvellement naturel des arbres? Faut-il s’étonner de l’apparente impuissance des pouvoirs publics malgré la multitude de rapports et de recommandations? Doit-on recourir à des mesures coercitives au risque de protestations? Doit-on interdire l’exportation de bois et contraindre nos industriels à s’adapter à la diversité de nos forêts? Ne faut-il pas simplement solliciter localement l’avis de nos concitoyens?

Les conclusions

1. Prioriser le puits de carbone et les circuits courts sur tous les autres paramètres

Les auditeurs de l’IHEST proposent que la stratégie nationale « bas carbone » (SNBC) affirme d’emblée ce postulat scientifiquement étayé afin que les équilibres recherchés dans le cadre du volume de prélèvement au sein des forêts donnent systématiquement le primat à la notion de « puits de carbone » dans une stratégie résolument localiste, pour minimiser les distances émettrices de carbone à parcourir pour livrer du bois-énergie, en particulier dans le cadre de l’installation de centrales biomasse […]

2. Mettre en place une gouvernance nationale agile, efficace et légitime de la forêt française au service de la transition énergétique

Les auditeurs recommandent, à l’échelle nationale, la mise en place d’une structure de pilotage qui définisse une stratégie nationale forestière lisible, inscrite dans la durée, périodiquement actée par le Parlement, pilotée par les services du Premier ministre. La définition et les inflexions de la stratégie forestière doivent s’appuyer sur l’expertise scientifique, en accueillant les controverses inhérentes à la recherche. […]

L’hypothèse de la création d’un ministère de la Forêt, si elle a tout son sens pour clairement identifier l’écosystème forêt, nous semble moins féconde en termes d’efficacité et d’agilité pour opérer les arbitrages requis, et il n’est pas certain qu’un ou qu’une ministre de la Forêt aurait davantage les coudées franches que le ministère de l’Agriculture. D’où la préconisation d’un comité interministériel pérenne, doté d’une composition stable incluant l’ensemble des acteurs de la forêt, piloté par un délégué interministériel qui rende directement compte à la Première ministre.

3. Mettre en place une véritable stratégie régionale de la forêt impliquant l’ensemble des acteurs

Compte tenu de la nécessaire mobilisation locale et des grandes différences de mesures à prendre d’une forêt à l’autre, il semble indispensable d’envisager la mise en œuvre de la stratégie nationale par un pilotage étroitement concerté avec les acteurs de terrain, voire par le terrain lui-même. Ainsi, c’est la suggestion d’une gouvernance régionale structurée dans le cadre des prérogatives confiées aux Régions par les lois de décentralisation, essentiellement dans le domaine économique, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la préservation de l’environnement et de la biodiversité, en lien avec les services déconcentrés de l’État. […]

4. Améliorer l’identification et l’accompagnement des petits propriétaires forestiers

Une part massive de la forêt privée française se révèle très souvent morcelée et inexploitée. Il semble indispensable de mieux accompagner les petits propriétaires des forêts privées pour l’entretien de leurs parcelles, conformément aux objectifs nationaux […]

5. Sensibiliser et communiquer sur les enjeux d’exploitation durable de la forêt

La réalité de l’action se situe au cœur des territoires, à l’échelle des communautés de communes liées à la forêt, selon la logique affichée par la Fédération nationale des communes forestières […]

6. Restaurer la biodiversité et les processus écosystémiques de la forêt pour favoriser les échanges de matière et d’énergie entre la faune, la flore et le sol

Il convient de privilégier des essences à même de conserver au maximum les caractéristiques de l’écosystème forestier existant, y compris les espèces animales et végétales endémiques ou adaptées de longue date. Donc donner la priorité à un écosystème forestier riche, complexe et naturellement résilient au réchauffement climatique comme au risque d’incendie, même au détriment d’une rentabilité économique supposément supérieure qui pousserait vers la monoculture de résineux […]

 

Pour les auteurs du rapport…

… « il s’agit sans doute là d’une utopie que nous espérons raisonnable, de par notre conviction qu’une gouvernance participative s’appuyant sur des objectifs clairs et définis à partir des apports scientifiques serait la seule propice à une gestion efficace, durable et plus consensuelle de la forêt française, en phase avec les préconisations 2022 du Giec. »

 

Pour aller plus loin sur le sujet « Transition et ruptures : La France est-elle prête ? » :

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