Pour toutes les communes, l’ère de l’auto électrique implique un réseau de bornes de recharge publiques. Comment l’implanter ? Quels budgets lui consacrer ? Quels tarifs appliquer ? Enquête sur une voirie en quête de ses bornes éléctriques.

On bascule, et à vitesse grand V, dans la voiture à batteries, à coups de bonus écologique à 6 000 euros, de prime à la conversion, de système de location subventionnée à moins de 100 euros par mois et de perspective d’interdiction du thermique… En pleine campagne présidentielle, le président candidat à sa succession vient de lancer « une offre de leasing » pour démocratiser l’usage de tels engins. En dépit d’autonomies encore limitées, le public s’électrise d’autant plus vite que le carburant flambe.

Ce sont des centaines de milliers de bornes qui devront à terme mailler tout le territoire : dans les stations-service des grands axes routiers « mais aussi et surtout le long des rues des centres-villes et dans tous les parkings publics possibles ».

Mais « le modèle de la recharge électrique en France relève encore massivement du domaine privé, explique Clément Molizon, délégué général adjoint de l’Avere France, Association nationale pour le développement de la mobilité électrique. Environ 70 % des propriétaires actuel·les d’un véhicule électrique – dont l’autonomie moyenne ne dépasse généralement pas les 400 kilomètres – rechargent les batteries à leur domicile ou sur leur lieu de travail. »

55 000 bornes publiques

Quatorze millions de résidences principales ne disposent pas de place de parking ou de garage individuel en France. Cherchez l’erreur. L’enjeu de la recharge publique est de taille : 7 à 16 millions de véhicules particuliers et utilitaires légers électriques sillonneront les routes du pays en 2035 (soit 20 à 40 % du parc total !), contre près d’un million estimé aujourd’hui, selon la PFA, la Plate-forme automobile qui rassemble les poids lourds d’une telle filière en France. Atteindre déjà les 100 000 points de recharge ouverts au public d’ici à la fin 2021 ? C’était le plan ambitieux fixé, rappelons-le, dès octobre 2020, par le gouvernement. De quoi « doper le déploiement de stations de recharge dans tout le territoire », avait commenté Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports.

Objectif oublié. « Environ 55 000 bornes publiques sont pour l’heure en fonctionnement », constate Clément Molizon. Question de temps car le taux de progression sur les douze derniers mois atteint 53 % ! Soit 20 000 points de recharge en plus en un an seulement, « contre une hausse de 32 000 sur les six années précédentes ». Une dynamique de rattrapage qui en dit long sur les perspectives réjouissantes d’un tel marché aux acteurs multiples – d’Izivia, filiale d’EDF, aux nouveaux entrants comme la start-up parisienne Électra, la hollandaise Fastned… Le marché de la recharge sera vertigineux. Pour la seule Europe, il passera de 350 millions d’euros aujourd’hui à 7 milliards d’ici à 2030 selon le cabinet EY-Parthenon.

La France dans le top 5 des pays de l’UE les mieux équipés, mais les écarts sont sensibles ! Le pays est 10 x moins équipé qu’aux Pays-Bas, 5 x moins équipé qu’en Allemagne.

La France, selon l’Avere, figure déjà dans le top 5 des pays de l’UE les mieux équipés (soit 5 bornes tous les 100 kilomètres environ). Mais les écarts sont sensibles ! Le pays est dix fois moins équipé qu’aux Pays-Bas et cinq fois moins qu’en Allemagne, d’après l’Acea (Association des constructeurs européens d’automobiles).

Une recharge en vingt minutes

Pour rassurer les « rouleurs », c’est l’autoroute qui s’électrise avant la voie publique. Alors que 50 % des aires étaient « bornées » à l’été 2021, dixit le ministère de la Transition écologique, « notre objectif, c’est que d’ici à la fin 2022, toutes les aires de service du réseau routier national soient dotées d’au moins quatre bornes électriques rapides, dont deux assureront une recharge en une vingtaine de minutes », avait déjà affirmé Jean-Baptiste Djebbari. Une contrainte imposée par la loi d’orientation des mobilités (LOM) aux concessionnaires d’autoroutes sommés d’installer à une telle échéance plusieurs points de recharge adaptés à l’ampleur du trafic local. Adaptés ? On imagine la file d’attente quand un plein de carburant demande à peine quelques minutes !

Une enveloppe de 100 millions d’euros est prévue pour l’appui financier des stations-service « de 30 à 40 % en moyenne », selon le ministère, aide cumulable « avec la prise en charge à 75 % des coûts de raccordement au réseau mise en place par la loi ». Mesures à la hauteur des enjeux à long terme d’une telle filière ? « Il ne faut en effet pas considérer le plan des 100 000 points de recharge comme un objectif totem à un horizon absolu », commente Clément Molizon.

Ce sont des centaines de milliers de bornes électriques qui devront à terme mailler tout le territoire : dans les stations-service des grands axes routiers « mais aussi et surtout le long des rues des centres-villes et dans tous les parkings publics possibles ». La gageure pour l’Avere est bien de développer en priorité « les bornes de charge rapides et très rapides – au-delà de 22 kilowatts et jusqu’à 350 kilowatts – propres à améliorer l’expérience utilisateur à court terme. Or ces bornes électriques ne représentent pour l’heure qu’une infime partie des points de recharge existants ».

Clément Molizon, Avere France« Il ne faut pas considérer le plan des 100 000 points de recharge comme un objectif totem à un horizon absolu. »

Clément Molizon, Avere France

En particulier sur la voirie publique, en coeur de ville, là où les premières installations ont pourtant fleuri, dès 2013, à l’initiative d’élus visionnaires. Des expériences pionnières menées çà et là, mais guère structurées, optimisées et surtout non généralisées. Résultat : les quelques spots accessibles à toutes et tous dans de telles zones offrent des performances très hétérogènes, souvent insuffisantes pour des longs trajets.

Programme Advenir

C’est dire si face à l’avance prise par le réseau autoroutier, « le défi de la recharge en ville s’avère d’autant plus crucial ! », constate Clément Molizon. D’autant que tous les bâtiments non résidentiels de plus de 20 places – centres commerciaux, parkings privés comme municipaux… – devront eux aussi se doter en points de recharge d’ici à 2025 (lire encadré ci-après) ! Une obligation qui ne concerne pas encore les bordures de voirie…

Les bornes de recharge à l’assaut des parkings souterrains !Les bornes de recharge à l’assaut des parkings souterrains !

Levier clé de développement de la mobilité électrique dans les centres urbains, les bornes de recharge investissent désormais les parkings souterrains en plein coeur de ville ! Preuve en est avec l’annonce de l’opérateur Q-Park, en février qui déploie, via l’accompagnement d’Izivia, filiale d’EDF, 4 000 bornes d’ici à 2025 dans ses quelque 260 parkings souterrains de 70 villes (126 000 places dont 20 000 à La Défense !). Les installations semirapides prévues délivreront une puissance moyenne de 7 à 22 kilowatts à un prix de lancement de 1 euro TTC par charge et 0,30 euro TTC/kWh.

Les véhicules électriques, il est vrai, déferlent dans les parkings en sous-sols des centres-villes, là où de tels équipements sont les plus attendus. Mais aussi là où leur coût s’avère plus élevé et le déploiement plus complexe que dans les parkings extérieurs… Une opération d’envergure qui supposera une collaboration rapprochée entre acteurs publics et privés des territoires concernés. « Nous savons pouvoir compter sur l’appui clé de nos collectivités partenaires pour relever ensemble un tel défi », confirme Michèle Salvadoretti, directrice générale de Q-Park France. De quoi « renforcer la mobilité électrique décarbonée au coeur des villes ! », se réjouit, de son côté, Christelle Vives, directrice générale d’Izivia, tout en satisfaisant les impératifs de la loi d’orientation des Mobilités. Et pour cause : elle impose qu’une place de parking sur vingt, dans un bâtiment tertiaire, soit pourvue d’ici à 2025 d’une borne de recharge.

Comment booster un tel mouvement inéluctable dans les centres-villes ? Plusieurs dispositifs incitatifs d’accompagnement des collectivités existent, comme des subventions de l’Ademe (Agence de la transition écologique), complétées depuis 2016 par un programme de financement clé, celui de l’Avere, baptisé Advenir. Il est doté d’une enveloppe totale de 200 millions d’euros pour la période 2022/2025 vouée à financer, sous forme de primes, tout projet d’installation de bornes électriques – qu’elles soient à haute puissance, connectées, etc., – notamment sur la voirie et les parkings publics. « Des aides consacrées exclusivement aux dépenses d’investissement », précise Clément Molizon : les frais d’entretien et de fonctionnement restent à la charge des collectivités !

« Voilà pourquoi la priorité des collectivités est bien de rentabiliser à terme une telle station de recharge. » Cette question du retour sur investissement s’avère d’autant plus impérieuse « qu’une telle rentabilité ne peut justement guère être garantie à court terme pour l’instant, mais plutôt sur la durée, à l’aune du décollage d’un tel marché escompté dans les quelques années à venir face aux pressions réglementaires ». Particulièrement complexe, cette gestion « de multiples temporalités en la matière » à laquelle s’ajoutent d’autres freins – des dossiers de subvention chronophages à réaliser, tout comme les études de faisabilité, les travaux de génie civil et de raccordement, etc. – expliquent largement en France toujours corsetée dans son administration publique ce manque chronique d’équipement des villes.

Les régions les plus « bornées »

D’autant qu’un tel déploiement réussi suppose également un véritable travail de coordination entre acteurs locaux publics et privés pour favoriser un maillage des bornes le plus cohérent possible. « Un dialogue pas toujours facile à instaurer mais nécessaire ! Par exemple, entre les collectivités et les centres commerciaux déjà soumis aux contraintes réglementaires afin qu’ils travaillent davantage de concert pour optimiser au mieux le schéma d’implantation des bornes dans le territoire et ainsi éviter les doublons », constate l’Avere. Bref, le courant passe mal !

Entre les collectivités et les centres commerciaux, le schéma d’implantation des bornes dans le territoire doit éviter les doublons, mais le courant passe mal.

Pas même en Île-de-France, région la plus « bornée » du pays, forte de son expérience d’Autolib, suivie par la région Auvergne-Rhône-Alpes, puis au coude à coude l’Occitanie et la Nouvelle Aquitaine. Toutes les échelles du territoire devront se mettre, in fine, au diapason, régions, départements, communes…, avec un même objectif national et européen en tête : viser la décarbonation complète des transports d’ici à 2050 « que seule la mobilité électrique – en tant que technologie mâture, ultradisponible, zéro émission et aux coûts en baisse – est capable de favoriser », plaide l’Avere.

Au passage, les technologies d’avenir qu’évoque tout bon prospectiviste ne sont pas même effleurées dans cette course aux bornes électriques. Un jour, l’électrique verra peut-être ses fardeaux (bornes, vitesse de recharge, consommation d’une énergie non encore renouvelable, recyclage des batteries…) allégés par un maillage de câbles de recharge installé sous la route et les voies publiques : les batteries seraient alors réalimentées en continu. Et les bornes électriques si chèrement acquises… obsolètes. À moins qu’entre-temps les piles à combustible n’aient pris le relais.

Charles Cohen

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