Jean-Luc Petithuguenin : « Dans dix ans ou dans quinze ans, la préoccupation écologique sera le réflexe de n’importe quel industriel »

[mini bio] Luc Petithuguenin, né le 16 octobre 1957 à Besançon, est un industriel et grand chef d’entreprise français. Ancien directeur général des branches recyclage et nettoyage industriel de la Générale des eaux, aujourd’hui Veolia Environnement, il est surtout désormais le propriétaire et fondateur de Paprec Group. En trente ans, il transforme une PME en l’un des grands comptes industriels du pays. Et participe activement avec son entreprise à l’essor considérable d’un secteur pionnier de la transition écologique.

Le moteur de la transition écologique est alimenté par deux carburants (écologiques bien sûr !) : celui des collectivités et des pouvoirs publics et celui des entreprises et des industries responsables. Au sein de cette seconde catégorie, le groupe Paprec fait office de cador du recyclage et de modèle de réussite industrielle et engagée. Entre rôle de pionnier des entreprises responsables et enjeux et priorités de la transition, son PDG Jean-Luc Petithuguenin livre à GreenID sa vision de grand dirigeant industriel pleinement engagé dans la dynamique écologique.

Paprec est aujourd’hui un des leaders français du recyclage, pour ne pas dire le leader. Comment êtes-vous passé d’un pari fou à un modèle d’industrie responsable ?

Je dirige Paprec depuis 1993 et j’en suis le propriétaire depuis 1994. À l’origine, j’ai racheté Paprec pour le compte de la Générale des eaux pour qui je travaillais. Laquelle a rapidement décidé de revendre l’unité. J’étais tellement convaincu que le recyclage était un grand métier d’avenir et qu’il fallait y investir rapidement, que j’ai fini par dire « si vous n’y croyez pas suffisamment, j’y crois suffisamment pour me mettre à mon compte ! » Donc, je l’ai fait. J’ai démarré en rachetant une première usine à La Courneuve. Depuis, nous avons grandi rapidement et de façon très régulière. Aujourd’hui, nous réalisons un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards d’euros et nous employons plus de 12 500 personnes. Paprec est le numéro 3 du secteur en France [ndlr : derrière Suez et Veolia], et le premier groupe industriel français du recyclage. Au global, nous traitons près de 16 millions de tonnes de déchets par an et recyclons tout ce qui se recycle. Le papier, le plastique, les métaux, le verre, les appareils électroniques, le bois… Au regard des collectivités, nous sommes une des plus grandes entreprises de traitement des déchets : une fois sur quatre, le déchet finit sa route au sein d’une de nos 35 usines. J’ai fait le pari d’un métier : le recyclage. Je pense avoir eu raison.

J’ai fait le pari d’un métier : le recyclage. Je pense avoir eu raison.

Le recyclage est-il devenu le moteur idoine de la transition écologique ?

Je dirais d’abord que depuis 40 ans, les techniques de traitement des déchets se sont améliorées dans des proportions considérables. Auparavant, les décharges polluaient énormément les nappes phréatiques, les incinérateurs l’atmosphère et le recyclage n’existaient pas. Quarante ans plus tard, grâce aux pouvoirs publics et à notre profession, les décharges et les incinérateurs ne polluent plus, le compostage est normé et le recyclage s’est imposé comme la solution préférentielle. Et la France obtient le meilleur niveau technique dans le monde pour traiter les déchets. En 2010, la Commission européenne a accompli un pas très important en imposant pour la première fois la hiérarchie des déchets. Au nom d’un principe simple : si vous traitez des déchets, la première option doit être le recyclage, la deuxième l’incinération et la troisième l’enfouissement.

Notre secteur est un moteur de la transition écologique globale pour deux raisons. D’abord, l’économie des ressources et des matières premières. Ensuite, l’économie de l’énergie, que j’appelle la première fonte. Transformer du sable en verre ou de la bauxite en aluminium, c’est dix fois plus coûteux que de recycler du verre en verre ou de l’aluminium en aluminium.

La transition écologique est désormais une des priorités des pouvoirs publics qui s’engagent dans ce sens et souhaitent inciter les entreprises à suivre le mouvement, à l’instar du plan France Relance. Que pensez-vous de cette dynamique ?

Je la trouve très bien, forcément. Les plans et les mesures se succèdent, en l’occurrence c’est un engagement de plus qui va dans le bon sens. Et tant mieux. Personnellement, je pense effectivement qu’il est très important que toutes les entreprises s’inscrivent dans cette dynamique. En outre, le rôle des banquiers est très important. Les banques vont de plus en plus financer en priorité des entreprises qui « jouent le jeu » de la transition. Je suis moi-même président du comité climat chez Bpifrance où l’on essaie d’engager toutes les industries dans le mouvement. Il existe un mouvement engagé vers plus de numérique comme un mouvement pour se montrer plus vert et responsable dans ses pratiques.

92% des salarié·es de Paprec Group occupent des emplois qualifiés

De toute façon, nulle sortie n’est possible pour l’industrie française en dehors de l’excellence sur le plan environnemental. C’est le sens de l’histoire.

Mais demeure la question de l’accélération de la transition. Doit-elle passer par des mesures contraignantes pour les entreprises ?

À titre personnel, je suis toujours favorable à l’incitation plutôt qu’à la répression. Nous savons que le gouvernement dispose des deux outils : l’outil incitatif et pédagogique et puis la répression via des normes, des lois et des contraventions. Prenons l’exemple des ceintures de sécurité. Lorsqu’on a dit « bouclez vos ceintures, elles vont sauver des vies », ça a pris beaucoup de temps pour que la pratique s’installe définitivement. Il a fallu que les mentalités changent, que les lois s’adaptent, puis boucler sa ceinture est devenu un réflexe pour tous. De la même façon, il faudra du temps pour que la transition écologique et les gestes responsables soient partagés par le plus grand nombre. Dans dix ans ou dans quinze ans, la préoccupation écologique sera le réflexe de n’importe quel industriel. Et plus spécifiquement encore pour la France et pour l’Europe qui ne peuvent pas s’inscrire dans un schéma de moins-disance écologique.

Le salon Pollutec du 12 au 15 octobre réunit les grands acteurs publics et privés moteurs de la transition. Quels sont les grands enjeux du moment ?

En priorité numéro 1 et avant toute chose, il faut une prise de conscience. Nous sommes au commencement des campagnes présidentielles, et vous voyez bien que la prise de conscience écolo s’exprime dans toute la classe politique et dans le monde entier. Nous n’avons qu’une terre. Lorsque j’ai lancé mon entreprise, j’avais mis en avant une phrase attribuée à Antoine de Saint-Exupéry, « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». Trente ans plus tard, je crois que l’énoncé est toujours aussi juste, si ce n’est que de plus en plus de personnes le pensent vraiment et s’engagent pour la transition.

Lorsque j’ai lancé mon entreprise, j’avais mis en avant une phrase attribuée à Antoine de Saint-Exupéry, « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».

Il faut préserver la planète. Tout le reste, ce n’est que la petite histoire par rapport à la grande histoire. Entre nous soit dit, félicitons-nous de cet enjeu et de cette prise de conscience qui se généralisent !

Paprec s’engage dans la transition écologique mais se préoccupe d’enjeux sociaux. Les deux fonctionnent forcément de concert ?

J’y croyais suffisamment lorsque j’ai lancé mon groupe pour adopter comme slogan « Pour une planète plus verte et une société plus fraternelle ». Avec un combat d’origine contre le racisme, contre l’antisémitisme et pour la diversité, parallèle à celui pour l’environnement et l’écologie. La prise de conscience écologique est fondamentale et la montée des valeurs de responsabilité sociale est légèrement en décalage, mais sera aussi très importante. C’est ma conviction intime.

Quelles sont vos priorités chez Paprec à court et moyen termes ?

Paprec a tenu des paris d’investissements très importants et continue de créer de l’emploi. À court terme, le premier enjeu est de ne pas se tromper pour nos grands projets et de recruter suffisamment. Trouver du personnel formé et qualifié, ce n’est pas toujours simple. Nos métiers sont très techniques. Sur nos 12500 salarié·es, 25 % sont des cadres et agents de maîtrise. Nous avons aussi énormément d’informaticiens, d’hydrauliciens, de mécaniciens… L’enjeu de la formation est très présent. Sur l’ensemble de mes salarié·es, je n’ai que 8 % d’emplois dits non qualifiés, et donc 92 % d’emplois dits qualifiés.

Nous avons aussi été pionniers en matière de green bonds [émissions obligataires que lance une entreprise sur les marchés financiers pour financer un projet à bénéfice environnemental], dont nous avons longtemps été le premier émetteur privé en France. Encore une fois, l’enjeu est aussi de réunir de l’argent et des investisseurs qui s’engagent pour la transition. C’est primordial. C’est pour cela que je souligne le rôle des banques et des investisseurs qui me paraît absolument fondamental. Si je n’ai pas de banquiers ni d’associés pour financer mes projets, je ne peux pas participer à la transition écologique. Et la finance mondiale se montre de plus en plus sensible aux projets verts. J’en reviens au même point : nous mènerons à bien la transition si la prise de conscience est partagée par toutes et tous.

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