Il n’arrête pas. De plateaux radio/télé aux devantures des librairies, Aurélien Barrau est partout, promène sa belle tête aux cheveux aussi longs que ceux de David Gilmour du Pink Floyd des années 1970 sur les réseaux et son phrasé se fleurit de mots rares et de néologismes. Contrairement à une Greta Thurnberg qui eut son effet médiatique, il ne vitupère pas, explique le monde calmement, scientifiquement, mais comme personne n’a encore osé aller aussi loin: il est à l’écologie ce que fut Paul Valéry dans les années 1930, un « héraut intellectuel national ».
Cet astrophysicien spécialiste des trous noirs et du Cosmos tout entier, parvient à se pencher sur la poussière Terre avec tout le recul vertigineux d’un homme minuscule en train de traduire par ses mots et ses images l’énormité de la « transition » destructrice de l’humanité.
Car pour lui, nous sommes dans la catastrophe, étymologiquement « événement soudain qui, bouleversant le cours des choses, amène la destruction, la ruine, la mort ». Il dit: « L’idée d’un effondrement est correcte. D’ailleurs, nous sommes en plein dedans! Nous avons déjà éradiqué – sur des échelles de temps différentes – plus de la moitié des mammifères sauvages, plus de la moitié des poissons, plus de la moitié des insectes et plus de la moitié des arbres. C’est fait. Chaque année, plus de 800000 personnes meurent de la pollution en Europe et un rapport récent évoque une cause environnementale pour un nombre voisin de décès annuels dans le bassin méditerranéen. Ce sont des chiffres faramineux. Le discours catastrophiste ne relève donc pas d’une crainte pour l’avenir, mais d’un constat quant au présent. »
Collapsologue? Pas tout à fait. Sans se défier de cette pensée qui prévoit la « chute de la civilisation thermo-industrielle », il estime caricaturale la disparition imminente de l’espèce humaine. « Ne sous-estimons pas la résilience du système actuel. Elle est – pour le meilleur et pour le pire – absolument extraordinaire », tempère-t-il dans l’entretien avec la professeure de lettres Carole Guilbaud, publié chez Zulma sous la forme d’une petite profession de foi d’une trentaine de pages dont on ne doit pas se priver pour 3,90 euros!
Reste pour le directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes et professeur à tenter de nous expliquer en quoi la poétique doit relayer la politique. « Les poètes sont bien plus essentiels et efficaces que les économistes, les physiciens et les politologues pour aborder la question. Travailler la beauté est plus urgent et plus radical qu’équilibrer son bilan carbone. » Pour autant, notre héraut de planète n’occulte pas les solutions politiques, bien au-delà du système représentatif des démocraties occidentales elles-mêmes.
La dictature? « Extrêmement efficace en temps de crise, mais extraordinairement dangereuse…» La démocratie directe par référendum? « Socialement tentante mais tributaire de l’incompétence et du populisme. » Les assemblées citoyennes, alors? « La voie la plus prometteuse, à condition qu’elles soient dotées d’un pouvoir législatif. Consulté sur une question systémique, informé par des experts compétents, un ensemble de citoyens tirés au sort semble être à même de prendre des décisions justes et courageuses concernant les questions existentielles. »
Ce précieux opuscule lu, précipitez-vous sur un vrai bouquin scientifique, à peu près incompréhensible pour le commun des mortels qui ne se soit pas intéressé auparavant à l’astrophysique, composé par le même Barrau (omniprésent, vous dis-je), Anomalies cosmiques, sous-titré La science face à l’étrange*.
Cette fois, de la matière noire aux rayons cosmiques, de l’antimatière au Big Bang, Aurélien Barrau montre à quel point ce que nous croyons des lois immuables et des théories fondées se révèlent trompe-l’œil (trompe-cerveau) et scénarios provisoires. L’observation confirme – presque – la relativité générale d’Einstein. La théorie des cordes promet – presque – d’expliquer l’Univers.
Mais tout est dans le presque: l’anomalité et l’anormalité s’en mêlent. La gravitation quantique (la tentative d’unification de la relativité et de la gravitation newtonienne) achoppe sur de minuscules anomalies. Eh bien notre système capitaliste occidental aussi montre désormais ses limites et ses abîmes: « Par inertie, par facilité, par suffisance et par habitude, nous avons considéré qu’une situation d’évidente instabilité écologique – ce n’est pas un avis mais un fait – et de grandissante précarité sociale pouvait constituer un état viable et enviable. Nous avons inventé une anomalie globale qui s’ignore encore comme telle et amène l’ensemble de la biosphère à un point de rupture. »
Il est temps de gravir les échelons de Barrau. Cet homme singulier délivre un message qui, étonnamment, ne hérisse personne (sinon les incurables crétins de type Bolsonaro, dictateur et anomalie du Brésil, ou Trump). Et pour cause: il nous parle vrai, sans arrière-pensée partisane. C’est de ces pensées cosmiques dont nous avons grandement besoin.
* Dunod. Un livre curieusement émaillé de coquilles et de fautes, comme si l’auteur ne s’était pas relu ou avait interdit qu’on le relise… Anomalies?
Olivier Magnan