On parle de l’industrie du tourisme. Un terme évidemment juste, mais qui doit aussi se réinventer, comme l’industrie tout court. Le tourisme vert, ou écotourisme, s’invite au coeur de nos logiciels. Il s’agit de changer la manière de se déplacer, de voyager, de découvrir le monde.
Venise, Barcelone,
Saint-Malo…
Le risque de la« ville-musée »
Ce changement de paradigme revient à traverser l’Amazone sur une corde raide. Il faut renier les excès d’hier tout en refusant de s’enfermer dans une vision dogmatique, radicale. L’écologie des résultats plutôt que celle de l’idéologie. Non, le nouveau tourisme, ce n’est pas voyager à dos d’âne jusqu’à une clairière où vous dormirez dans une yourte en vous lavant dans l’eau de la rivière !
Ces villes qui veulent changer de modèle
« 95 % des voyageurs mondiaux aux mêmes endroits, sur moins de 5 % de la planète », affirme l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT), qui siège à Madrid. Notre gouvernement nous informe également de cet état de fait : en France, 80 % de l’activité touristique se concentre sur 20 % de notre territoire.
Malgré la crise covid-19, qui se voulait l’aube d’un hypothétique « monde d’après », rien n’a vraiment changé. La bascule est encore à faire. En juillet 2023, Orly a par exemple dépassé sa vitesse de croisière d’avant-crise. Plus de 3 millions de voyageurs annuels ! Et ce n’est qu’un phénomène parmi des dizaines d’autres.
Venise, symbole de la saturation touristique, a certes interdit aux bateaux d’accoster contre ses rives. Les mêmes géants des mers débarquent désormais à quelques kilomètres de La Sérénissime. Cela ne change pas tellement le bilan carbone… Désormais, comme dans un parc d’attractions, chaque visiteur doit s’acquitter d’une taxe de cinq euros, simplement pour aller et venir. Cela suffira-t-il pour tarir l’afflux toujours plus pressé d’une nouvelle classe moyenne mondiale, asiatique surtout, qui aspire à voyager pour son agrément ? En Bretagne, à Saint-Malo, le maire annonçait cet été stopper toute campagne de communication touristique. L’objectif, pour la cité corsaire, est désormais de dissuader les visiteurs. Le maintien de la tranquillité locale est à ce prix. La cité de Chateaubriand est victime de son succès : le prix de l’immobilier devient insoutenable et repousse les habitants historiques hors des remparts. Non loin de là, radicales et inventives, les îles de Bréhat mettent La situation insulaire est évidemment un avantage pour réguler.
Barcelone, elle aussi destination du surtourisme, veut se prémunir à tout prix. La maire de gauche, Ada Colau, est en guerre contre les incivilités des voyageurs et fait face au fléau Airbnb. Elle bataille aussi face aux ferrys qui accostent sans cesse plus nombreux. Sa peur ? Que la capitale de la Catalogne se transforme, en « ville-musée » ou pire, en « ville-boîte de nuit ». Le tout au détriment d’une vie de quartier, authentique et chaleureuse. Excédés, certains habitants regroupés en milices crèvent les pneus des touristes pour les convaincre de quitter la ville au plus tôt.
Distinguer
le « voyage »
des « vacances »
Paris n’est pas en reste. La capitale de France agit pour réorienter son offre touristique. La maire Anne Hidalgo veut par exemple fermer la gare autoroutière de Bercy, QG des autobus polluants. En 2020, lors des municipales, elle promettait d’organiser un référendum contre Airbnb, qui tire les loyers à la hausse et dégrade la vie de quartier. Pour l’heure, pas de nouvelle, mais l’espérance de la démocratie citoyenne est là.
La France, première destination mondiale, prépare sa transition
Olivia Grégoire, ministre déléguée au tourisme, rendait public, en juin dernier, un plan contre le surtourisme. « Si l’on veut désengorger les sites trop fréquentés, il faut faire émerger d’autres destinations et d’autres itinéraires touristiques », déclare au Figaro cette ministre batailleuse et pugnace. Une campagne de communication sera lancée en mars 2024, pour convaincre les touristes de s’orienter vers de nouveaux territoires, pour l’heure encore assez peu fréquentés. Les influenceurs seront sollicités pour inviter les internautes à se réorienter.
Un volontarisme qui irait jusqu’à la coercition ? Olivia Grégoire, de tempérament libéral, ne veut la limiter qu’à certains espaces naturels en danger. Elle mise plutôt sur l’incitation. Et l’indique plus loin : « La France, ce n’est pas que les falaises d’Étretat, le Mont- Saint Michel, Notre-Dame de Paris et les calanques de Cassis. Nous travaillons avec les régions pour créer des circuits touristiques clés en main, en dehors des sentiers battus. » En parallèle des JO, des French Tours (sic) au nombre de trois pour chaque région inciteront les visiteurs à délaisser les figures imposées.
Atout France, Voyageurs du Monde… Ils agissent pour un tourisme responsable
La stratégie nationale contre le surtourisme prévoit quatre axes. D’abord, organiser la gestion des flux. C’est indispensable. Ensuite, il s’agit de sensibiliser les acteurs, grâce notamment à des campagnes de communication. Troisièmement, la création d’un observatoire national et mutualisé pour mieux détailler l’impact du tourisme en France, son évaluation sociale et environnementale. Enfin, le gouvernement accompagnera les territoires grâce à une enveloppe de 1,5 milliard d’euros. Rappelons que le tourisme est en France une compétence partagée entre l’État, les régions, les départements et les communes.
Face au défi que constitue la transition du secteur touristique, plusieurs associations, publiques ou privées, s’organisent. D’abord, il y a Atout France, bras armé de l’État. Cette administration pilote les grandes politiques touristiques, oriente la marche des acteurs. Elle détermine la stratégie intitulée « Tourisme : passer du volume à la valeur ». En effet, le nouveau tourisme sera haut de gamme ou ne sera pas. Saluons aussi le travail de l’association Agir pour un tourisme responsable, qui fédère depuis 2004 les acteurs du nouveau tourisme, afin de leur donner du poids et d’influencer la décision publique. Enfin, le groupe Voyageurs du Monde organise déjà des séjours différents, assez haut de gamme, marqués par un respect de l’environnement et des peuples. « Je préfère distinguer le « voyage » des « vacances ». Ma société ne vend pas des vacances, mais des voyages », ajoute son président, Jean-François Rial. Un distinguo fort utile.
Valentin Gaure