L’ESSEC, Rothschild & Co, Danone, Wendel. Sa carrière était toute tracée. Mais les regrets auraient été bien trop insoutenables. En 2007, Fanny Picard choisit la voie de l’entrepreneuriat – plutôt que la politique – en créant le fonds à impact positif Alter Equity. Pour contribuer, à son échelle, à façonner un monde un peu plus durable demain. Un peu plus raisonnable. Et ce, sans renoncer à la croissance. Pour l’entrepreneure, la croissance verte n’est pas un oxymore ! Alter Equity, en finançant des projets utiles pour tous et l’environnement, en est la preuve. Fanny Picard le sait, nous sommes sur un bateau qui s’apprête à couler. Si et seulement si nous ne faisons rien. États, entreprises et consommateurs se doivent de changer leurs habitudes qui ont bien trop longtemps essoré la planète. À l’ère de la mondialisation, le seul engagement de la France ne suffira pas. À celle du vieillissement démographique, la prise de conscience des jeunes générations ne suffira pas non plus. Entretien.

Alter Equity en chiffres
2007, année de lancement
12, le nombre de collaborateurs
28, le nombre d’entreprises soutenues (au 1er septembre 2023)
150 millions, en euros le montant global des actifs sous gestion

Alter Equity, au départ, ce devait être un fonds bien plus social qu’environnemental ?

Absolument. J’ai commencé ma carrière en 1992 chez Rothschild & Co, dans le domaine de la fusion-acquisition. Avant de rejoindre Danone aux côtés d’Emmanuel Faber, puis Wendel en tant que directrice des opérations financières. C’est là-bas que mes valeurs, celles que ma famille m’a transmises, se sont confrontées à des comportements modérément éthiques, notamment de la part de la direction générale. Des pratiques que je ne pouvais pas accepter, alors je suis partie. En parallèle, j’étais engagée au sein de Mozaik RH, un cabinet qui promeut l’inclusion et la diversité. Je pensais alors créer un fonds qui financerait les projets des jeunes issus de la diversité. Et puis j’ai rencontré Alain Grandjean (économiste et associé-fondateur avec Jean-Marc Jancovici de Carbone4, ndlr), qui m’a fait prendre conscience de la gravité des dérèglements environnementaux. Je devais aussi intégrer la démarche environnementale dans mon projet : à quoi Alter Equity servira s’il finance un projet certes d’un jeune issu de la diversité mais nocif pour l’environnement ou qui propose une alimentation dangereuse pour la santé ?

Concrètement alors, que recherchez-vous avec Alter Equity ?

une citation…
« Quand je dis quatre vols dans une vie, ce n’est pas zéro. On pourrait instaurer  un système où lorsqu’on  est jeune, on a deux vols pour découvrir le monde et quand on est vieux, on part en vacances en Corrèze en train ».
Jean-Marc Jancovici, ingénieur
… et la réaction de Fanny Picard
« Ce n’est pas de la provocation, simplement une solution possible et envisageable. Je crois à la réglementation, nous ne pouvons plus continuer à prendre l’avion depuis Paris pour rejoindre Cannes ou Marseille. Eh oui, nous ne pouvons plus voyager autant. Ce qui est socialement valorisé doit changer, comme posséder un 4×4 ou multiplier les trajets en avion, car c’est une aberration écologique. »

Il est urgent d’accélérer notre transition vers un capitalisme plus responsable. Cela paraît évident aujourd’hui, mais en 2007, en France, quand je lance Alter Equity, le fonds est pionnier en la matière. Nous sommes le premier fonds à avoir mis en place l’obligation de procéder à un bilan carbone, ou encore ouvrir le capital à l’ensemble des salariés et non pas simplement aux dirigeants. Idem pour la rémunération variable des dirigeants conditionnée à de bons résultats en termes de RSE. Notre fonds a été le premier à rendre tout cela obligatoire pour les entreprises soutenues. Nous avions aussi été les premiers à proposer un investissement respectueux des personnes et de la nature dans l’investissement non coté en France, à la fois rentable et responsable.

Comment choisissez-vous les entreprises que vous financez ?
On reçoit beaucoup de dossiers, environ 1 000 l’an passé. On scrute avant tout l’impact social et environnemental de l’activité. De sorte à ce qu’elle contribue davantage au collectif qu’elle ne lui prélève. L’impact positif doit porter sur la société et l’environnement. Parmi les secteurs au sein desquels nous nous engageons : l’éducation, le bien-être, la santé, la préservation de la biodiversité, soit tout ce qui participe à la transition vers une société plus durable.

Puis, dès lors que nous sommes certains de cet apport net à la société, nous vérifions si les perspectives de croissance et de rentabilité sont compatibles avec nos propres objectifs de rendement. Pour l’heure, nous avons investi au sein de 28 entreprises, le démarrage a été long car les investisseurs ne croyaient pas à ce type de  démarche en 2007. Aujourd’hui nos actifs sous gestion s’élèvent à 150 millions d’euros. Nos investissements sont majoritairement en France, hormis un seul en Allemagne.

Un ou deux exemples d’entreprises dans lesquelles vous avez investi ?
Je pourrais toutes les citer évidemment ! Tant leurs projets nous ont séduits. Zenride, par exemple, propose des vélos de fonction à destination des collaborateurs d’une même entreprise. Fort utile lorsque l’on sait que 74 % des trajets domicile-travail de moins de 7 kilomètres se font en voiture. Pour le salarié, le prix moyen revient à 30 euros par mois, l’entreprise payant les deux-tiers du montant total. Autre exemple : MiiMOSA. Une plateforme de financement participatif dédiée à la transition agricole alimentaire et énergétique, qui a réussi à financer 1 000 projets en 2022 !

Quels objectifs demain pour Alter Equity ?
Pas de chiffres précis, mais une direction. Nous allons continuer à déployer des montants toujours plus importants pour les entreprises qui contribueront le plus au collectif. Pour les entreprises utiles et qui apportent un vrai plus à la société. À notre échelle, nous voulons participer à cette accélération vers ce monde plus durable, responsable, et souhaitable. Alter Equity est une solution parmi d’autres, qui ne demande qu’à être reproduite. Je ne considère pas les autres fonds à impact positif comme des concurrents… nous avançons tous dans le même sens.

Ne soyons pas naïfs, toutes les entreprises sont encore loin d’être vertueuses ? Où en sommes-nous aujourd’hui ?
On a bien avancé depuis la maxime de Milton Friedman (« l’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits », ndlr). Aujourd’hui, les entreprises, notamment en France, proposent des produits et services bien plus respectueux de l’environnement. Pas toutes évidemment mais les choses évoluent. La France seule ne pèse pas bien lourd. Les entreprises à l’échelle mondiale doivent prendre le chemin de la transition. Et au-delà des entreprises, nous aussi en tant que consommateurs, devons revoir nos comportements. Le changement est encore trop lent, nous sommes sur un bateau qui est en train de couler et certains continuent à boire du champagne. C’est maintenant qu’il faut réagir et surtout accélérer.

Pourquoi ne pas vous lancer en politique pour défendre vos idées ?
Il se trouve que j’ai essayé, plus jeune. Mais je suis bien trop sensible pour ce monde-là. Je m’étais présentée en tant que tête de liste aux élections municipales de 1995, avant de renoncer assez rapidement. La politique est un univers violent, y compris au sein de son propre camp. À côté de cela, le contexte ne m’aidait guère à l’époque, je travaillais pour Rothschild & Co, ce qui me prenait beaucoup de temps. Et surtout, mon papa mourrait d’un cancer. Ce n’était pas le bon moment, et ce ne le sera finalement jamais !

Comment occupez-vous votre temps libre ?
Je m’occupe de mon fils de 14 ans. Ce ne sera pas une surprise, mais j’aime me promener en forêt, dans la nature. Vous me trouverez souvent dans mon jardin ! Je suis par ailleurs passionnée d’art contemporain et de littérature française, notamment de romans. Lire est un immense plaisir pour moi. Cet été par exemple, j’ai dévoré Pierre Lemaître, Le silence et la colère.

Un dernier mot ?
Je suis inquiète, certes. Comment ne pas l’être ? Mais je reste optimiste en regardant l’engagement des jeunes générations. Mon principal espoir, ce sont elles. Elles qui exigent des générations précédentes de rompre avec leurs habitudes pour ne pas nous promettre un avenir aux conditions de vie dramatiques.

un livre

L’investissement à impact : la finance au service d’une société meilleure

Lionel Melka, préface Fanny Picard (De Boeck Supérieur)

Un ouvrage qui, grâce à des cas concrets, mesure l’impact de la finance responsable sur le collectif, le bien commun. Parmi les problématiques soulevées : qui sont ces investisseurs et pourquoi se développentils tant en ce moment ? Quels sont leurs objectifs et leurs modes d’action ? Ont-ils vraiment de l’impact et, si oui, de quel type ? Comment mesurer cet impact ?

Nous sommes sur un bateau qui est en train de couler et certains continuent à boire du champagne

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel

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