Corinne Lepage « Le nucléaire ne produira pas suffisamment pour répondre à nos besoins de base »

Bilan d’observatrice impliquée

Corinne Lepage, juriste engagée dans la protection de l’environnement, ancienne ministre de l’Environnement et députée européenne, présidente de Cap21.

Vous faites partie de ces témoins d’une écologie politique cheminant depuis vingt ans. D’un pas de sénateur ou pas ?

Il s’est quand même passé bien des choses, voté beaucoup de lois en vingt ans. Celles de Ségolène Royal sur la biodiversité, celle, plus récente, de Brune Poirson, éphémère secrétaire d’État de l’environnement, sur l’économie circulaire, qui contient pas mal de choses sans que ce ne soit le Pérou ! Mais aussi bien des mesures « régressives », comme l’autorisation des insecticides néonicotinoïdes jusqu’en 2023 ou la dégradation de la démocratie environnementale, de la Convention citoyenne à la baisse systématique des seuils, toujours dans le même sens. Nos décideurs politiques sont conscients, sans doute, de l’urgence à agir, mais ils n’en font pas une priorité. Si l’écologie n’a pas reculé sous Hollande, il n’en va pas de même avec Macron, il suffit de constater que pas un article dans la presse ne positive son action.

Comment, justement, en faire une priorité ?

En mettant en place les moyens. En changeant l’organisation de l’État, avec une Autorité environnementale, mise en place par le ministère de la Transition écologique, qui mène un excellent travail mais ne délivre que des avis. Il faut instituer dans chaque ministère un contrôleur de l’environnement qui agirait comme un contrôleur d’État en matière d’économie. Après tout, on a institué dans les ministères un contrôle permanent sur tout, pourquoi pas en matière d’environnement ? J’ai écrit un livre en 1997*, à l’issue de mon ministère, sur les lobbys dont j’ai subi les pressions, je parle de Total, de l’EDF, de la FNSEA, de l’agrochimie. Vingt-cinq ans plus tard, Hulot en parle de la même façon. Un phénomène extrêmement pervers plombe le ministère de la Transition qui abrite en son sein les thématiques de l’énergie, des transports, de l’industrie sur lesquelles il doit arbitrer. Mais face aux Directions correspondantes, le ou la ministre doit devenir un poids politique majeur, ce que Barbara Pompili n’incarne pas, alors que Nicolas Hulot, face aux grands corps, n’était pas sûr de lui.

Forte de cette vision, n’incarneriez-vous pas ce poids politique ?

Non, je suis incompatible avec le président actuel ! J’ai choisi la voie du droit qui reste un levier très puissant, capable d’impacter les décisions. Je vous rappelle mon action à Grande- Synthe qui débouche sur une injonction climatique en faveur de cette commune sous risque de submersion, mon action contre le glyphosate pour lequel le juge a retenu une erreur d’appréciation. Tout le monde veut de l’activité économique, mais, sur le terrain, les élus locaux se montrent de qualité très variable. Ils et elles font la pluie et le beau temps, même si une partie écoute les habitants. La plupart du temps, les contentieux naissent de l’attitude de gens qui arrivent en terrain conquis en se moquant des populations locales. La concertation, en France, est à sens unique. Or elle est la source même de solutions alternatives…

Quel regard portez-vous à la candidature EELV Jadot ?

Il a fait ce qu’il a pu, mais est saboté par son propre parti, EELV et Sandrine Rousseau, qui oscillent entre gauchisme et wokisme. Le programme de Yannick Jadot est en soi cohérent. Ce numéro 1 de GreenID recense les énergies de la France.

Quelle est votre vision de « sage » du mix énergétique en devenir ? Je ne suis pas du tout sur la ligne qui prône que la situation actuelle due à la guerre russo-ukrainienne soit un encouragement à poursuivre le développement du nucléaire. Elle joue même en sa défaveur. Nous avons besoin de solutions urgentes. Or le nucléaire est dans l’incapacité d’y répondre. Nous sommes en avril 2022, 50 % du parc de centrales sont à l’arrêt et EDF paie aujourd’hui le mégawattheure 3 000 euros ! Une telle indisponibilité du parc va durer. EDF promet de remonter en capacité à partir de 2023, sans pouvoir rattraper celle qui prévalait avant les arrêts. Le « grand carénage », c’est-à-dire la remise à niveau des centrales promis depuis onze ans, ne sera pas assuré. Des fosses systémiques sont apparues, elles obligent à des réparations importantes et forcent à un questionnement sur la sûreté de réacteurs sur lesquels on ne se posait pas de questions. Au surplus, il ne s’agit pas des plus vieux, ce sont les 1 300 mégawattheures qui sont concernés. Si bien que sur le court et moyen terme, d’aujourd’hui à 5 ans, il n’existe aucun espoir de voir le nucléaire produire suffisamment pour répondre à nos besoins de base. Pas même de se substituer serait-ce à titre modeste au gaz et au pétrole.

Que faire ?

Deux choses à court terme : instaurer une réelle politique de sobriété, on commence à l’entendre. Booster au maximum les énergies renouvelables, en particulier le solaire. Construire l’équivalent photovoltaïque d’une tranche nucléaire de 1 000 MWh tous les ans, soit 5 tranches. Il s’agit d’un effort considérable. Couplé à la levée des freins appliquée à l’autoconsommation collective.

Qu’est-ce ?

Le droit de produire et consommer sur place, un droit reconnu par l’Europe et la France. Mais la Commission de régulation de l’énergie s’est débrouillée pour la limiter, en la rendant non rentable. On encourage les propriétaires de maison à s’équiper en solaire, mais pas l’habitat collectif. Or développer massivement le solaire, le gouvernement n’en veut pas, car c’est encourager la décentralisation énergétique et donc à terme disqualifier l’énergie nucléaire. Le nucléaire nous « met dedans ». On tient grâce à l’éolien et à l’hydroélectrique…

 

Propos recueillis par Olivier Magnan

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici